L'historiographie sur la frontière - dans ses différentes dimensions juridique, historique, géographique - s'est développée en relation avec la réflexion sur le « state building ». La frontière est le produit même de la construction de l'État dit moderne : la marque de son emprise progressive sur le territoire, le résultat d'un projet de contrôle de plus en plus fin de l'espace, le signe d'une domination prétendument exclusive des hommes et des ressources. Les guerres avec les annexions territoriales qui s'ensuivent et les traités conclus sont autant d'occasions où les États se constituent et tracent leurs frontières - parfois éphémères, parfois de longue durée. Cette étude sur le Grand-duché de Toscane - caractérisé par une stabilité territoriale depuis le XVI siècle qui n'est certainement pas unique - s'est construite autour d'une question majeure : quel effet de connaissance se produit lorsque la formation des frontières est observée là où celles-ci se trouvent physiquement? D'abord et d'ailleurs, quelle est la signification de la construction des frontières par les États ? N'existeraient-elles pas auparavant? Qu'en est-il de ces localités frontalières dont la vie se déroule aux marges des appareils étatiques? L'analyse des centaines de dossiers des archives toscanes permet de saisir toute la complexité de l'acte de démarcation d'une frontière. Le changement d'échelle ici pratiqué fait ressortir une inattendue multiplicité d'acteurs (communautés villageoises, propriétaires fonciers, entrepreneurs) et de projets qui ne cessent de susciter et de motiver la définition des frontières tout au long de l'Ancien Régime.